Par : Samuel Lara, Analyste en Innovation Durable
L’an dernier, LGI publiait Beyond CSRD: Nature-Based Solutions as a Multi-Benefit Option, un Innovation Outlook qui mettait en lumière les tensions liées à la mise en œuvre des Solutions fondées sur la Nature (SfN) : ambition contre application, conformité contre impact, projets pilotes isolés contre changement systémique. Il y a deux semaines, l’événement annuel NetworkNature réunissait à Bruxelles décideurs politiques, chercheurs et entreprises autour du thème « Choose Nature ». Les débats ont exploré différentes façons d’aligner biodiversité et économie grâce aux SfN. Ils ont rappelé à la fois l’urgence d’agir face à l’érosion accélérée de la biodiversité et les opportunités qu’offre un véritable tournant : considérer la nature non plus comme une contrainte, mais comme le socle de la résilience, de la compétitivité et du bien-être. Parmi les projets Horizon Europe présentés figurait GoNaturePositive!, dont LGI est partenaire. Son ambition : renforcer la sensibilisation et favoriser l’action transformatrice en faveur d’une économie positive pour la nature, auprès des décideurs, investisseurs, entreprises et de la société dans son ensemble.
Si un message traverse l’ensemble de ces échanges, c’est bien que nous avons besoin d’un changement profond et systémique pour répondre aux causes structurelles de la crise écologique. Nos écosystèmes se dégradent sous l’effet de pressions directes (déforestation, pollution) combinées à des dynamiques plus complexes (modes de consommation, subventions néfastes, gouvernance insuffisante). Un constat s’impose : le modèle économique mondial actuel échoue à intégrer la nature comme élément central. Comme le souligne Marianne Zandersen, de l’Université d’Aarhus (projets GoNaturePositive! et Invest4Nature) : « C’est un problème épineux, sans solution miracle. »
Passer de l’ambition aux pratiques courantes suppose que l’ensemble des acteurs économiques comprenne que les SfN sont un outil incontournable, à la croisée de la finance, des politiques publiques, des entreprises, de l’environnement et de la société.
La finance fixe le rythme
Tout au long de l’événement, un constat a été martelé : la finance déterminera la vitesse de la transition. Pour Hadrien Michel, de la Commission européenne (DG ENV), investir dans la nature constitue un atout stratégique pour la résilience et la compétitivité du continent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon le Forum Économique Mondial, plus de la moitié du PIB mondial et deux tiers de la valeur ajoutée européenne dépendent de la nature et de ses services écosystémiques. La Banque Centrale Européenne indique, elle, que près de 75 % des prêts bancaires de la zone euro concernent des entreprises fortement dépendantes de la biodiversité.
Investir dans la nature devient donc indispensable à la résilience et à la compétitivité. Le secteur de l’assurance en offre une illustration parlante : le projet Horizon Europe Invest4Nature démontre la valeur assurantielle des écosystèmes, capables de réduire les risques et les coûts liés aux catastrophes naturelles. Natacha Boric, de la Finance for Biodiversity Foundation, insiste : l’investissement responsable doit placer la nature au cœur. Edoardo Carlucci, de l’Institut International du Développement Durable (IISD), met en garde : continuer à subventionner des pratiques destructrices revient à saboter les solutions au lieu de les accélérer.
Malgré des appels répétés à la standardisation des méthodes et à l’essor de la finance mixte, les avancées restent timides. Comme le souligne l’Alliance GISD (Global Investors for Sustainable Development), un frein majeur réside dans l’absence d’un « manuel » commun : la plupart des transactions sont encore montées au cas par cas.
La Roadmap to Nature Credits, lancée récemment par la Commission européenne, illustre bien cette divergence. Certains y voient un risque éthique (marchandisation de la nature, greenwashing, dépendance excessive aux compensations), tandis que d’autres y voient un levier pour récompenser les gestionnaires d’écosystèmes et améliorer leurs moyens de subsistance.
La politique trace la voie
S’il existe encore des divergences sur les instruments financiers, une certitude s’impose : seule une gouvernance solide peut donner de l’ampleur aux initiatives. Sans cadre politique clair et cohérent, même les projets les plus ambitieux risquent de rester confinés.
La dynamique, toutefois, s’accélère. La loi européenne sur la restauration de la nature, entrée en vigueur le 18 août 2024, fixe des objectifs contraignants de restauration des écosystèmes dégradés, en priorisant ceux qui captent et stockent le plus de carbone et réduisent les risques naturels. Parallèlement, le mouvement visant à reconnaître l’écocide comme crime international gagne du terrain, pour hisser la destruction de l’environnement au rang des crimes contre la paix. Cette pression ne vient pas uniquement des institutions : en France, des citoyens ont poursuivi l’État pour son incapacité à protéger la population contre les impacts du réchauffement climatique.
La Directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), en vigueur depuis le 5 janvier 2023, pousse les grandes entreprises à intégrer la nature dans leur stratégie. Restreindre son champ d’application allégerait certes certaines contraintes administratives, mais au risque d’affaiblir la redevabilité sur l’ensemble des chaînes de valeur.
Les entreprises encore absentes
Malgré ces évolutions, une lacune demeure : la faible implication des entreprises, en particulier des PME, qui représentent pourtant 99 % du tissu entrepreneurial européen. Cette absence peut néanmoins devenir une opportunité : inclure les PME dans le dialogue sur les SfN pourrait stimuler l’innovation, renforcer la résilience des chaînes de valeur et mieux répartir les bénéfices.
Les projets partenaires de NetworkNature+ relèvent que nous comprenons encore mal les obstacles que rencontrent les PME. Plusieurs questions restent ouvertes :
Comment gérer l’impact net sur l’emploi (emplois perdus vs créés, besoins en formation et en savoir-faire) lié à la transition vers une économie positive pour la nature ?
- Les PME engagées dans des pratiques durables et les entreprises fondées sur la nature (NbEs) bénéficient-elles d’un réel avantage compétitif ou seulement d’un « plus » réputationnel ?
- Les crédits (carbone, nature, autres) sont-ils efficaces et crédibles malgré leur caractère volontaire ?
- Les indicateurs actuels ne favorisent-ils pas trop les « nouveaux venus », au détriment des pionniers qui appliquent déjà les meilleures pratiques ?
- Le problème n’est peut-être pas tant de produire de nouvelles études que de permettre aux PME d’accéder aux connaissances existantes et de les traduire en action.
Vers une économie positive pour la nature
Au fond, tant l’Innovation Outlook Beyond CSRD que l’événement NetworkNature convergent vers la même conclusion : il faut bâtir une économie positive pour la nature. Une économie qui restaure les écosystèmes, aligne objectifs économiques, bien-être écologique et social, et considère la nature non comme un coût, mais comme une infrastructure stratégique.
Les initiatives isolées ne suffisent plus : des politiques ambitieuses doivent donner le cap et corriger les incitations perverses. Les flux financiers, eux, doivent être mobilisés de manière responsable afin de générer des bénéfices partagés. Ils doivent aussi permettre aux entreprises de toutes tailles d’intégrer la nature dans leurs opérations et leurs chaînes de valeur. Enfin, le renforcement des capacités est indispensable pour transformer les ambitions en outils concrets.
Surtout, il nous faut remettre en question les modèles économiques qui continuent à dégrader le vivant. Ce n’est qu’en articulant ces leviers que pourra émerger une véritable économie positive pour la nature.
Le défi est immense, mais la détermination des décideurs, chercheurs et praticiens l’est tout autant. Il n’existe sans doute pas de solution miracle, mais une voie se dessine clairement : choisir la nature et la placer au centre, afin de construire un avenir où humains et écosystèmes prospèrent ensemble.
Pour aller plus loin
- Découvrez le travail de LGI et comment nous accélérons l’innovation durable
- Lisez la Concept Note et les 5 messages clés du projet GoNaturePositive! pour esquisser ce que pourrait être une économie positive pour la nature
- Découvrez NetworkNature et connectez-vous à la communauté européenne des pratiques autour des solutions fondées sur la nature